L. Forlivesi u.a. (Hrsg.): Éduquer et punir

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Titel
Éduquer et punir. La Colonie agricole et pénitentiaire de Metray (1839–1937)


Herausgeber
Forlivesi, Luc; Georges-François Pottier, Sophie Chassat
Erschienen
Rennes 2005: Presses Universitaires de Rennes (PUR)
Anzahl Seiten
256 p.
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Michel Porret

La «délinquance juvénile» est un problème ancien qui éprouve les institutions répressives, celles du contrôle social. En outre, la criminalité juvévile nourrit le débat public et la réflexion morale puis sociale sur sa causalité que la criminologie veut «objectiver», voire quantifier. Dès la Restauration en France, le débat public sur cet objet (enfance délinquante, enfance dangereuse) obsède les philanthropes, les moralistes, les magistrats et les pénalistes. Une bibliographie spécialisée sur le sujet paraît dès la fin du Second Empire. Les travaux se multiplient sous la IIIe République. Au siècle de la «question sociale», évaluée en termes économiques par Sismondi ou Marx, le débat sécuritaire sur la délinquance des mineurs condense deux problématiques: les liens entre paupérisme et délinquance juvénile; les «voies correctives» pour protéger le mineur contre l’engrenage récidivant. Cet ouvrage collectif signé par dix-sept auteurs (historiens, littéraire, philosophe, enseignants, spécialiste de la Protection judiciaire de la Jeunesse, archiviste, etc.) vise à repenser la délinquance juvénile. A ce but, les spécialistes étudient la Colonie agricole de Mettray (Touraine). Entre 1839 et 1937, l’institution «redresse» 17 000 délinquants âgée de 6 à 21 ans (voleurs, vagabonds, orphelins). Parmi eux, Jean Genet, incarcéré 30 mois, du 2 septembre 1926 au 1er mars 1929 (cf. son roman: Miracle de la rose, 1946).

Histoire institutionnelle des colonies pénitentiaires au XIXe siècle, cas emblématique de Mettray comme structure d’«éducation correctionnelle», culture politique des membres fondateurs (magistrats, financiers, aristocratie, ecclésiastiques, militaires, notables scientifiques, ministres) attachés au libéralisme paternel, formation des éducateurs, éducation des détenus (instruction élémentaire, éducation physique et morale, formation professionnelle), personnel et architecture de la colonie, travail agricole, représentation littéraire et imagerie noire suite au «scandale de Mettray» en 1909 («bagne pour enfants»), séjour de Jean Genet, «modèle carcéral» pour Michel Foucault, Mettray pièce française du réseau européen de l’éducation surveillée: ces thématiques traitées inégalement, parfois sommairement sur la plan rédactionnel, brossent l’histoire de la colonie agricole. Dès 1839, né du paternalisme des 59 membres fondateurs («Société Paternelle») réunis à Paris chez le juge Frédéric-Auguste Demetz, l’établissement répondra à l’échec avéré de la prison, école de la récidive. Entre «colonie agricole» et «patronage des jeunes détenus», Mettray condense autour du paternalisme correctif le libéralisme carcéral et pénal de la Monarchie de Juillet dans un établissement spécial pour les enfants délinquants, à l’instar du quartier spécialisé de la Petite Roquette (Paris). Education, formation, rédemption par la nature, patronage moral des jeunes libérés contre la récidive: cette économie punitive place Metray au pinacle des établissements modèles que légalise la loi du 5 août 1850 (colonies agricoles). Hors de la «ville corruptrice», la prison sans mur au milieu des champs régénèrera dans le travail le délinquant juvénile issu des classes dangereuses (laborieuses) et paupérisées. Pourtant, assez rapidement, le modèle initial d’établissement correctif en milieu ouvert s’effrite face aux pratiques carcérales qui triomphent vers 1900. Sous la IIIe République, la crue des colonies pénitentiaires multiplie les effectifs en dégradant les conditions de détention et la formation du personnel. Pire, la culture pénitentiaire brutalise les usages disciplinaires: dressage corporel, soumission, violence, cachot, etc. Selon Jean-Jacques Yvorel (introduction), la colonie agricole se mue en «bagne d’enfant». Un enfer disciplinaire où le suicide devient monnaie courante chez les plus désespérés, les plus démunis. Volontiers philanthropique, l’idéal correctif devient répressif pour la «défense sociale républicaine». Entre 1918 et 1937, Mettray devient l’antichambre du «régiment disciplinaire», la «propédeutique » du bagne ou de la centrale criminogène. Il reviendra à l’Ordonnance de 1945 de créer au sein du Ministère de la Justice la «direction de l’Éducation surveillée», détachée de l’Administration pénitentiaire. Si l’esprit de la loi est éducatif contre la criminalisation de la délinquance juvénile, les moyens manquent, notamment au Centre Spécial d’Observation de l’Éducation surveillée de Fresnes … installé en milieu carcéral.

La colonie agricole et pénitentiaire de Mettray signale l’échec du réformisme carcéral né du philanthropisme paternaliste d’après la Révolution. Selon Michel Foucault (Surveiller et punir, Naissance de la prison, Paris, 1975), pour adultes ou pour mineurs, la prison échoue dès sa généralisation vers 1800. Son but répressif et son budget déchirent l’idéal carcéral de l’Etat de droit – neutralisation sociale plutôt qu’expiation, réinsertion plutôt que récidive. Sans le dire, l’enquête collective sur Mattray illustre un débat crucial pour notre société déboussolée, où le retour de l’ordre moral et de l’autorité répressive veulent endiguer la violence sociale: l’Etat choisira entre le «traitement socio-éducatif» et l’approche «carcéropénale » de la déviance juvénile. Education ou répression? Ce choix politique pèse sur l’avenir des institutions démocratiques du contrôle sociale de la délinquance. Le livre reste ainsi précieux, car il historicise dans la plus longue durée certaines peurs contemporaines face à la délinquance juvénile.

Citation:
Michel Porret: Compte rendu de: Éduquer et punir. La Colonie agricole et pénitentiaire de Metray (1839–1937). Sous la dir. de Luc Forlivesi, Georges-François Pottier, Sophie Chassat. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 57 Nr. 1, 2007, pages 121-122.

Redaktion
Veröffentlicht am
09.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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